Description
La danse des temps enfouis
Avant sa mort, ma grand-mère m’a légué 3 albums de photos anciennes, des portraits de ses aïeuls. Les personnes sur les photos remontent jusqu’à 3 générations au dessus d’elle. Sur une photo, il y a mon arrière-arrière-arrière grand-mère née en 1813.
Ma première rencontre avec la peinture a été un choc tôt dans l’enfance : deux portraits accrochés sur les murs de notre salon. Peints à l’encre et rehaussés au fusain blanc sur papier sombre, ils étaient si vivants que j’avais l’impression qu’ils me regardaient, du haut de leur grand âge et sortis tout droit de la fin du 19e siècle.
C’était l’oeuvre de mon arrière grand-père Alphonse Nething; et je ne l’ai su bien plus tard : il n’avait que 16 ans quand il les a peints.
Enfant, je ne pouvais pas m’arrêter de dessiner. Des visages, surtout. On me disait alors « C’est l’arrière grand-père qui ressort !»
Quand je vois ces photos, je sens tout le poids de l’époque, des guerres, des changements de nationalités multiples et forcés en Alsace. Je vois Alphonse, jeune peintre de talent, laissant ses pinceaux, sa femme et ses enfants pour aller à la guerre en 14. Il a laissé des toiles et des cœurs vides, impossibles à peindre et à aimer à son retour.
Dans cette série d’aquarelles, j’ai eu envie de secouer mon arbre. De libérer mes ancêtres du poids de l’histoire, des familles fracassées par les guerres. Libérer tout ça par la peinture, oser scruter leur âme et faire jaillir de l’eau colorée. Parfois forcer le trait pour rire un peu. Leur dire que j’en profite aujourd’hui, comme ils me l’aurait chuchoté à l’oreille « Vas-y, libère toi, nous on n’a pas pu… »
La danse des temps enfouis est ce moment là, où je danse avec mes ancêtres.
Avec Alphonse qui m’a appris la peinture et a fini sa vie au bout d’une corde. Avec Maria qui crevait de faim dans le blokus de Metz, Alfred qui jouait un jeu dangereux avec la Gestapo, et tous ceux qui ont tenté de tracer leur voie dans ces conditions difficiles.
La peinture me permet ça aujourd’hui, d’agiter un peu ce passé encore présent dans l’inconscient. De saisir et révéler leurs états d’âmes, si souvent retenus sur les photos aux poses figées.
Aquarelle et craies sur papier 300g/M2. 2020.
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